Grossesses non désirées et précoces en milieu scolaire : Une épine dans la gorge des parents d’élèves

Maîtresse d’école, avocate, docteur, ministre, directrice de société… Voilà le rêve des parents qui envoient aujourd’hui leurs filles à l’école. Mais parfois, ce rêve est très tôt brisé à cause d’une surprise de taille. Il s’agit des grossesses non désirées et précoces qui mettent un terme au cursus scolaire de ces apprenantes, semant ainsi la désolation dans le rang des parents.Un phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur au Bénin et qui constitue un casse-tête pour toute la société…
Des jeunes filles élèves lors d’une manifestation Porto-Novo. Photo: Google

Une fraîcheur matinale accompagnée de chants d’oiseaux, le passage de quelques animaux domestiques sous les arbres. C’est ce spectacle qui nous a accueilli ce mardi matin du mois de Novembre, dans la cour du centre social de la commune de Covè, située à 180 Km de Cotonou, la capitale économique du Bénin. Sous une paillote de fortune, se trouve un groupe de jeunes filles âgées de 14 à 19 ans. Les unes habillées en tenues traditionnelles, les autres en uniforme d’école. Elles suivent avec attention les conseils d’une dame, animatrice de Aldip Ong, une structure qui s’occupe de la réinsertion sociale des filles mères et déscolarisées. « Ce n’est pas la fin du monde si aujourd’hui vous êtes enceinte. L’essentiel, c’est de prendre conscience de la situation et de se dire qu’après l’accouchement, vous devez reprendre vos études. »

Regrets, souffrance, amertume se lisent sur le visage de ces filles qui sont toutes des écolières et élèves. Christine A., la plus jeune du groupe et apparemment plus dégourdie que les autres a 9 ans. De taille courte, svelte, elle présente le corps d’une fillette de son âge. Mais à vue d’œil, l’on ne pouvait pas s’imaginer qu’elle serait mère d’un bébé de 7 mois. Elle est en classe de CM2. « Je viens très souvent ici pour suivre les enseignements de l’animatrice. Quand je suis à l’école, je dépose le bébé chez une vendeuse. Pendant la récréation, je  lui donne le sein » explique-t-elle. A la question de savoir comment elle a vécu son accouchement, elle répond : « C’était un matin, j’ai commencé par avoir des maux de ventre. J’avais pensé que c’était pour aller aux chiottes. Mais cela devenait de plus en plus atroce. Ma belle-mère, qui n’était pas partie au champ ce jour, m’a alors amené à l’hôpital. La sage-femme m’a fait une piqûre. J’avais très mal. Mais je n’avais pas pleuré. Et après le bébé est sorti ».

Cette naïveté se retrouve également chez Paulette B., 16 ans, élève en classe de 3ème au CEG1 de Covè et enceinte de cinq mois.

C’est mon camarade de classe qui est l’auteur de ma grossesse. J’ai laissé les cours parce que j’ai honte. Tout le monde me regarde. Mon ventre a commencé par grossir. Mon mari aussi a laissé les cours pour faire de petits jobs afin de subvenir aux petits besoins de la maison. Moi-même je vends de la bouillie les matins pour l’aider. Nos parents n’ont pas les moyens de nous supporter.

Une situation qui désoriente les parents

Agée de 14 ans, Alice est élève en classe de 5ème au CEG de Zakpota situé à quelques kilomètres de Covè et est enceinte de 6 mois. Son professeur est l’auteur de sa grossesse. A l’annonce de cette nouvelle, sa maman s’est évanouie. « Je ne pouvais pas supporter cette nouvelle. Je tremblais debout. C’est une honte pour moi car je suis dans une famille polygame. J’ai séjourné chez un couple ami pendant trois jours. Et ils m’ont demandé de ne pas faire de bruit avec elle afin d’éviter plus de dégâts. Ce qui est sûr, elle ira à l’école avec la grossesse. »

Quant à Pierre Lokonon, père de Amandine qui est tombée enceinte en classe de 4ème, il l’a simplement renvoyée de la maison. « Sa petite sœur excelle bien à l’école. Je ne voulais pas qu’elle, en tant que grande sœur, donne de mauvais exemples aux autres. J’étais déçu. J’ai appris qu’elle est partie chez sa maman à Cotonou. C’est après l’accouchement que je l’ai revue. Et sa chance, c’est qu’elle a accepté de reprendre les cours sinon je l’aurais répudié ».

La survenue des grossesses précoces et non désirées dont les auteurs sont généralement des camarades de classe, les artisans du quartier et parfois des professeurs, constitue un frein à l’aboutissement des projets que les parents ont pour leurs enfants.

Des chiffres qui effraient…

Les résultats de l’enquête de démographie et de santé réalisée en 2012  par le Ministère de la Santé, révèlent que la sexualité est précoce au Bénin. Avant l’âge de 15 ans,  13,12% des filles  ont  eu déjà  des rapports sexuels. Chez les garçons, le taux est de 12,9%.  De plus, 21% des filles âgées de 15 à 19 ans ont une vie féconde active, au point où 01 grossesse sur 05 au Bénin est le fait d’une adolescente. Cette précocité des rapports sexuels associée à la faiblesse des besoins non satisfaits en planification familiale, seraient à la base des grossesses non désirées et précoces qui se soldent malheureusement par des avortements clandestins.


Selon des données hospitalières, 01 décès maternel sur 05 est le fait d’une adolescente. La prévalence contraceptive dans la couche juvénile est de 2,9% pour les jeunes âgés de 15 à 19 ans. Comparée à la moyenne nationale qui est de 7,9% en 2012,  on constate qu’elle est faible.

Le taux de grossesses non désirées et précoces en milieu scolaire est également en nette progression. Le rapport d’une étude réalisée par le Ministère des Enseignements Secondaire, Technique et de la Formation Professionnelle révèle que sur un total de 301.821 filles inscrites sur toute l’étendue du territoire au titre de l’année scolaire 2016-2017, 2563 sont tombées enceintes.  Dans ce registre, le département des collines vient en tête avec 472 cas de grossesses sur un total de 27 166 filles inscrites.

Au cours de cette année scolaire (2017-2018), 111 grossesses sont déjà enregistrées dans le département du Borgou, 22 à Houéyogbé dans le département du Mono et 51 dans le département du Couffo.

Des causes et conséquences  à plusieurs facettes

Selon les explications de la Directrice de l’Ecole Primaire Publique (EPP) de Houin située dans la commune de Covè, c’est surtout la naïveté et l’ignorance qui conduisent les enfants dans ce décor.

A la maison, certains parents continuent de considérer le sexe comme un sujet tabou et n’en discute pas du tout avec les enfants. Et c’est la plus grande erreur que nous  commettons. Ce que nous leur cachons, c’est en ville qu’ils le découvrent. Et bienvenue aux dégâts. On doit pourvoir donner à chaque enfant, selon son âge, l’éducation sexuelle qui lui convient.

S’ajoute à ce manque d’éducation sexuelle à la maison, l’ambition démesurée de certaines filles et leur condition sociale de vie.

Porter une grossesse pendant 9 mois n’est pas un jeu d’enfant. La non maturité des organes génitaux de ces filles mères les exposent à beaucoup de risques sanitaires tels que les avortements clandestins qui se soldent souvent par des complications pouvant conduire à  la mort, l’accouchement par césarienne, la malformation congénitale, les hémorragies internes au cours de l’accouchement… La survenue d’une grossesse précoce entraîne aussi la déscolarisation des filles et surtout la stigmatisation et la discrimination dans son entourage.

Le dialogue parent/enfant à la maison sur la sexualité, l’éducation sexuelle à l’école, l’abstinence, l’adoption d’une méthode de contraception par les jeunes qui ont déjà une vie sexuelle active peuvent aider à réduire considérablement le taux de grossesses précoces et non désirées en milieu scolaire et permettre ainsi aux élèves filles de finir leurs cursus scolaire et réaliser ainsi leur rêve.

Par Makéba Tchibozo

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