Avortement clandestin au Bénin: quand les femmes se cachent pour mourir…
L’avortement, qu’il soit sécurisé ou non, est la troisième principale cause biologique de mortalité maternelle au Bénin derrière l’hémorragie du post partum (29,6%) et l’ éclampsie (22,2%) nous renseigne le Plan opérationnel de réduction de la mortalité maternelle et néonatale au Bénin (PO – RMMN 2018-2022). Dans une liste de huit principales causes biologiques, l’avortement occupe la troisième place avec 13% d’impact sur les décès liés à une grossesse. Que faire pour éliminer un mal qui tue silencieusement environ 200 femmes chaque année ?
Dans la famille de Samira (nom d’emprunt), l’histoire de cette jeune fille de 19 ans se raconte avec douleur. Jeune, intelligente avec une éducation stricte et religieuse, Samira suivait ses études universitaires dans une filière de transport et logistiques. Elle avait un avenir prometteur car ses parents bien que d’une catégorie modeste, ne lésinaient pas sur les moyens pour assurer son éducation. Elle avait une éducation morale rigoureuse…Samira est morte à la suite des complications d’un avortement clandestin qui a mal tourné.
Deux jours après son forfait qu’elle a réussi à dissimuler à ses parents en simulant un mal de ventre lié à ses menstrues se rappelle sa grande sœur, elle supportait des douleurs dans l’intimité de sa chambre. Elle avait contacté sa cousine a qui elle voudrait « confier un secret que les parents ne devraient jamais connaître » et l’avait invité en urgence pour de l’aide. La cousine ayant remis au lendemain l’invitation d’écouter « le secret » n’a pu écouter la confession de Samira avant que sa maman la retrouve raide dans la soirée allongée à même le sol dans sa chambre. « Elle ne respirait plus normalement mais était toujours en vie » raconte sa mère.
Sur le coup, la première clinique l’accueille pour des soins d’urgence. « C’était déjà tard » raconte sa grande sœur. « Ils ont parlé d’infection sévère après un avortement… ».
« Quand elle a ouvert faiblement les yeux cette nuit-là à la clinique, c’était pour demander de l’eau. Peut-être même que c’est pas de l’eau qu’elle demandait. Sa voix sortait à peine. Elle a pris juste une gorgée et refermer les yeux…Au petit matin, notre fille n’était plus là. Samira n’était plus là » raconte sa mère déjà en larme.
Jusqu’à sa mort personne ne sut qui est l’auteur de la grossesse qu’elle voulait se débarrasser et qui est l’agent ayant pratiqué l’avortement. Tout ce qu’on sait, une famille vient de perdre une fille et jamais Samira ne reviendrait…Ainsi meurt chaque année dans le silence, des centaines de femme du fait de l’avortement clandestin.
Avortement clandestin : une pratique qui tue dans le silence
Au Bénin, 1500 femmes meurent chaque année en voulant donner la vie. Dans ce lot, environ 200 femmes perdent la vie pour des questions liées à l’avortement qui représente la troisième principale cause biologique de mortalité maternelle. D’un point de vu de la population de femme en âge de procréer (la proportion de femme en âge de procréer de 15 à 49 ans au Bénin est de 23,9% selon RGPH 4 ), ce chiffre peut paraître insignifiant. D’un point de vu de ce que cela induit comme perte dans les communautés, c’est préoccupant. Il représente ainsi 200 familles en deuil chaque année du fait d’un avortement. Dans chaque famille, la victime peut être une adolescente, une jeune fille, une sœur, une cousine, une tante, une épouse, une mère. Ce qui fait de l’avortement, un tueur silencieux dans les communautés.
Les avortements qui tuent sont les avortements provoqués effectués dans la clandestinité. Il est pratiqué généralement en dehors des formations sanitaires, dans des conditions hygiéniques déplorables, dans un environnement sanitaire non sécurisés et avec des méthodes interdites et improvisées mettant dangereusement la vie des victimes sur la balance de la mort.
C’est souvent l’œuvre de personnes non formées n’ayant jamais suivi une formation en santé. Aujourd’hui, l’on parle de ces « piqueurs sauvages » qui introduisent des objets dans l’utérus de la femme et racle de façon improvisée et aléatoire dans le seul but de détacher l’œuf.
Parfois, c’est des agents de santé de niveau inférieur n’ayant pas reçu une formation adéquate pour intervenir sur les cas de soins obstétricaux (aide soignante, infirmiers, infirmières…) qui ont des cabinets de soins en privés qui sont auteurs de ce mal qui décime en douceur. Ces personnes sont des maux pour la communauté qui ont généralement recours à eux pour interrompre une grossesse parce que la solution à ce besoin n’existe pas dans les formations sanitaires.
Dans le contexte du Bénin, les cas de grossesse pour lesquels les femmes expriment un besoin d’interruption ne sont pas autorisés par le cadre légal qui encadre l’avortement. Autrement, il n’existe pas une offre de service d’avortement dans les formations sanitaires pour une femme qui désire interrompre une grossesse si les raisons sont autres que celles définies par le cadre légal. En absence d’une telle offre, le faire dans la clandestinité devenait la seule voie de recours avec tous les risques que cela comporte, y compris la mort quand cela est mal fait.
Que dit ce cadre légal ?
C’est la loi 2003-04 du 3 mars 2003 relative à la santé sexuelle et à la reproduction qui définit les conditions dans lesquelles l’interruption volontaire d’une grossesse est autorisée au Bénin sur prescription d’un médecin. Selon l’article 17 de ladite loi, l’interruption volontaire d’une grossesse n’est possible que quand:
- – La poursuite de la grossesse met en danger la vie et la santé de la femme enceinte
- – A la demande de la femme, lorsque la grossesse est la conséquence d’un viol ou d’une relation incestueuse
- – Lorsque l’enfant à naître est atteint d’une affection d’une particulière gravité au moment du diagnostic.
Dans les conditions fixées par loi, la pratique de l’avortement est sous le contrôle d’un agent de santé qualifié offrant un environnement de sécurité à la patiente. La majorité des femmes ayant recours à l’avortement clandestin le font pour d’autres raisons. Celles ci va de l’incapacité d’élever un enfant de trop, au désir de continuer les études que la grossesse non désirée pourrait perturber, en passant par le viol d’un partenaire au détour d’une soirée, le refus d’un père d’assumer la paternité d’une grossesse pour ne mentionner que celles là.
L’avortement clandestin n’épargne aucune tranche d’âge de la puberté à la ménopause. En toute logique, le besoin existe mais la loi est restrictive à ce sujet. En dehors du cadrage légal, il s’agira d’une violation de la loi pour toutes autres raisons qui conduiraient une femme à un avortement clandestin. Elles se cachent alors pour le faire mettant leurs vies en danger car chaque avortement pratiqué dans de mauvaises conditions médicales induit parfois des complications qui peuvent conduire à la mort de la victime.
La planification familiale pour prévenir les grossesses non désirées et les risques liés à l’avortement
En dehors des cas précisés dans la loi 2003-04 relative à la santé sexuelle et à la reproduction, l’avortement clandestin est la conséquence d’une grossesse non désirée par la femme pour diverses raisons. Pour prévenir les risques liés à l’avortement, prévenir les grossesses non désirées serait une solution.
Dans cette approche de prévention, l’accès aux services de planification familiale notamment aux méthodes modernes de contraception est un défi que le système de santé devra considérer comme une priorité. En améliorant le taux d’accès des femmes à la contraception, cela pourrait contribuer à maîtriser les grossesses non désirées que cela soit dans le rang des femmes en union ou chez les jeunes femmes et adolescentes.
À ce jour au Bénin, le taux de prévalence contraceptive est 12,4% alors que 32% de femmes qui désirent être sous une méthode moderne de contraception n’y ont pas accès. L’offre des services de planification familiale n’est pas équitable à la demande et un travail adéquat reste à faire pour amener les femmes en âge de procréer de comprendre les avantages qu’offrent la contraception car, bien que des femmes ne désirent pas avoir une grossesse, elles ne font rien pour la prévenir.
« Il faut revoir les messages de communication sur la planification familiale parce qu’au sein de notre société beaucoup continuent de penser que quand on parle de planification familiale, qu’on veut réduire les naissances…C’est de faire comprendre aux populations qu’il est important de faire les enfants en tenant compte de nos capacités financières » fait remarquer Nourou Adjibadé, le directeur exécutif de Ceradis Ong.
Il y a le fait que le niveau de sensibilisation de la population n’a pas sensiblement varié et nous notons une discontinuité dans les activités de sensibilisation de façon générale sur le territoire. Ce n’est pas uniformisé. C’est à dire qu’il y a une bonne partie de la population qui bénéficie réellement des messages de communication alors que d’autres n’en bénéficient pas.
Nourou Adjibadé. Directeur de Ceradis Ong
Dans son Plan opérationnel de réduction de la mortalité maternelle et néonatale au Bénin pour la période 2018-2022, le ministère de la santé s’est donnée des priorités. Parmi les priorités, deux pourront favoriser une réduction des grossesses non désirées. Il s’agit de
- La gratuité de la planification familiale pour favoriser l’accès des adolescents et jeunes à la contraception et
- La prévention et la prise en charge des grossesses chez les adolescentes et jeunes.
À cela s’ajoute une ambition d’accroître d’ici à 2022, le taux de prévalence contraceptive aux méthodes modernes chez les femmes mariées ou en union de 12,5 à 25% au plan national.
Agir dans l’esprit des adolescents et jeunes par une éducation à la santé sexuelle
Autant l’avortement clandestin touche les femmes en union autant cette pratique touche les adolescentes et jeunes filles. Face à la crise du dialogue entre parents et enfants sur les questions liées au sexe qui demeurent toujours un sujet tabou dans de nombreuses familles, le gouvernement tente de recoller la brèche pour contrôler le phénomène des grossesses précoces chez les adolescentes. La fécondité précoce a connu un accroissement de 3% ces cinq dernières années passant de 17% en 2012 à 20% en 2018 à l’analyse du rapport préliminaire de l’Enquête démographique et de santé (EDS 2017-2018). Autrement une fille sur cinq à déjà commencé une vie reproductive au Bénin. Pour agir sur ce phénomène, l’éducation des adolescents et jeunes à la santé sexuelle est une approche actuellement en expérimentation.
L’éducation à la santé sexuelle (ESS) est un ensemble d’information qu’on apporte aux jeunes élèves en milieux scolaires mais également aux jeunes déscolarisés ou non scolarisés pour leur permettre de maîtriser le fonctionnement de leurs corps mais aussi de développer des comportements de vie positifs en société. L’approche vise à doter les jeunes des connaissances, des informations sur les droits sexuels et de la reproduction, des attitudes personnelles de prise de décision, des capacités à assumer des responsabilités.
Pour Docteur Yves Sossou, directeur exécutif de l’Association béninoise pour la promotion de la famille (ABPF), « avoir un certain nombre d’information amène le jeune à avoir une sexualité responsable ». En juin 2018, le gouvernement a lancé une phase pilote d’éducation à la santé sexuelle (ESS) dans 12 écoles primaires et 24 collèges. « Lorsque ce travail va être fait au cours de cette année académique 2018-2019, on va faire une analyse voire capitaliser un peu les acquis et voir comment cela pourra faire objet de passage à l’échelle. C’est déjà une satisfaction pour nous que ce travail que nous faisons depuis des années puissent amener le gouvernement à prendre des dispositions » a confié Docteur Yves Sossou.
« C’est quand même une bonne nouvelle » pense Nourou Adjibadé de Ceradis Ong « parce que ça permettra aux jeunes générations d’être informé sur les avantages de la planification familiale et de pouvoir l’adopter à l’avenir. Mais pour le moment, il faudrait qu’on puisse prendre de bonne disposition pour aller vite » suggère le point focal au Bénin de l’Alliance droits et santé.
En entendant que le gouvernement améliore l’accès des femmes à la contraception, de faire de l’éducation à la santé sexuelle un outil pour prévenir les grossesses précoces chez les adolescentes et jeunes, d’intensifier la lutte contre les cabinets de santé fictifs qui offrent des services d’avortement mettant en péril la vie des femmes pour quelques francs CFA, de revoir un jour les limites de la loi relatives à la santé sexuelle et de reproduction…les formations sanitaires continueront à offrir des soins après avortement pour sauver les femmes des complications de l’avortement clandestin s’il n’est pas tard.
Le gouvernement devra travailler davantage pour prévenir tous les risques conduisant à l’avortement clandestin afin que les femmes ne se cachent plus pour mourir.
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