Nourou Adjibadé « Ce qui freine aussi le taux de prévalence contraceptive…il y a la faible implication des hommes dans la planification familiale »

En 2013, le Bénin s’était donné pour engagement d’améliorer l’accès des femmes aux services de planification familiale pour atteindre un taux de prévalence contraceptive de 20% à l’horizon 2018. Au constat, ce taux est de 12,4% à ce jour et l’un des plus faibles de la sous région Ouest africaine. Pourquoi l’accès des femmes à la contraception peine à décoller au Bénin ? Nourou Adjibadé, Directeur Exécutif du Centre de Réflexions et d’Actions pour le Développement Intégré et la Solidarité (Ceradis) analyse la situation avec le Webjournal mamabenin.

Nourou Adjibadé le Directeur Exécutif de Ceradis ONG. Photo : Ceradis

Nourou Adjibadé: Bonsoir

Vous êtes le Directeur exécutif de Ceradis – Ong, une organisation qui travaille sur les questions liées à la planification familiale. Pensez-vous que le Bénin avance réellement en matière d’accès des femmes aux services de planification familiale notamment la contraception vu que le pays oscille autour d’un taux de prévalence contraceptive de 12% depuis plusieurs années ?

Oui et non !  Oui parce qu’en observant l’évolution du taux de prévalence contraceptive au Bénin depuis 1996 jusqu’à 2012, vous vous rendez compte que le taux de prévalence contraceptive a évolué en dent de scie. Je vais vous donner les statistiques concernant les enquêtes démographiques et de santé organisées en 1996, 2001, 2006 et 2012. En 1996 ça n’a pas beaucoup évolué. En 2001, ça a un peu évolué. En 2006, ça a encore baissé et en 2012 on a constaté qu’il y a quand même une légère évolution de cette prévalence contraceptive qui tournait autour de 7,9% mais aujourd’hui nous sommes à 12,5% précisément. Si on compare ce taux de prévalence contraceptive du Bénin avec les taux de la sous région ( Togo, Niger, Burkina Faso, Sénégal), on peut dire qu’on tient la lanterne rouge. Donc, beaucoup d’efforts restent à consentir aussi bien par le gouvernement notamment le ministère de la santé mais aussi par les organisations de la société civile qui doivent également prendre une part active dans le repositionnement de la planification familiale. Ce taux de prévalence contraceptive est assez bas et c’est d’ailleurs, l’une des raisons pour lesquelles les Américains notamment l’Usaid avec les Français avaient financé la conférence de Ouagadougou qui s’est tenue en février 2011. Au termes de cette conférence est né le partenariat de Ouagadougou qui est en faite un partenariat mis en place pour permettre aux neuf pays francophones de l’Afrique de l’Ouest de pouvoir mettre en place des politiques qui puissent véritablement permettre de booster le taux de prévalence contraceptive. Je crois que c’est à la faveur de ce partenariat que le Bénin a commencé par remonter la pente et ça nous a permis d’être aujourd’hui autour de 12,5%. C’est un taux qui est encore très bas, avouons le, parce que lorsque vous prenez les engagements qui ont été pris par le Bénin à la conférence d’Addis Abeba qui s’est tenue en novembre 2013 en Éthiopie, le Bénin avait pris l’engagement de porter le taux de prévalence contraceptive de notre pays à 20% en 2018. Voilà que nous sommes pratiquement à la fin de l’année et nous oscillons autour de 12,5%. Dans le meilleur des cas nous serons autour de 15%. Ça veut dire que le gap à combler est encore important.

Qu’est-ce qui explique cela ?

Ce qui explique cela, c’est en faite la situation des femmes en demande. C’est à dire des femmes qui demandent à être sous méthode contraceptive mais qui n’ont pas accès. Les besoins non satisfaits en planification familiale aujourd’hui s’élèvent au moins à 30%. Imaginez vous si on arrive à satisfaire ces 30% qui sont dans le besoin, on serait autour de 42%.Donc, il faut quand même que le gouvernement et les Ong, les partenaires techniques et financiers se donnent la main pour qu’on puissent au moins couvrir ces demandes non satisfaits avant de susciter d’autres demandes au niveau de la population. Et ainsi, le taux de prévalence contraceptive sera à un taux vraiment acceptable. Aujourd’hui, les expériences vécues par plusieurs pays ont montré qu’avant de parvenir au dividende démographique, il faut forcément réaliser d’abord ce qu’on appelle la révolution contraceptive.

Et comment réaliser cette révolution contraceptive ?

La révolution contraceptive, pour pouvoir la réaliser, il faut qu’au moins 50 à 60% des femmes dans un pays qui aspire à l’émergence, qui aspire au développement, 50 à 60% des femmes en âge de procréer entre 15 et 49 ans puissent adopter une méthode moderne de contraception. Vous voyez que nous sommes encore très loin du compte ?  Le chemin à parcourir est encore long.

Pour quelles raisons ? 

Les raisons sont nombreuses. Il y a d’abord le fait que les demandes en cours ne sont pas satisfaits. Il y a aussi le fait qu’il faut revoir les messages de communication sur la planification familiale parce qu’au sein de notre société beaucoup continuent de penser que quand on parle de planification familiale, qu’on veut réduire les naissances, on veut amener les populations à ne pas faire beaucoup d’enfants alors que la planification familiale ce n’est pas ça. La planification familiale, sont rôle d’abord c’est d’aider à espacer les naissances. C’est de faire comprendre aux populations qu’il est important de faire les enfants en tenant compte de nos capacités financières.

Lorsque nous prenons les enquêtes MICS 2014 et l’EDS 2017 on tourne autour de 12%. En espace de quatre ans, le Bénin n’a pas évolué. Est ce parce que des investissements adéquats n’ont pas été engagés dans les demandes non satisfaits ?

Oooh Oui oui oui ! On n’a pas véritablement investi parce qu’il y a le problème de la volonté politique ! Le leadership politique n’est encore suffisamment affirmé. Aujourd’hui, les défis majeurs qui sont liés au volet de l’offre de service de PF ne sont pas significativement relevés. Ce sont entre autres le faible accès géographique dans les aires sanitaires, la faible qualité de l’offre, l’inadéquation des services offerts aux jeunes et adolescents, la rupture du stock des produits contraceptifs au niveau des points de prestation. Il y a également l’inéquitable offre des services de planification familiale par les organisations de la société civile et le secteur privé entre les départements. Ces facteurs expliquent que le taux de prévalence contraceptive n’a pas encore connu le décollage que nous sommes entrain d’espérer.

Les causes ?

Il faut rechercher les causes dans la demande des services de PF. Il y a que le niveau de sensibilisation de la population n’a pas sensiblement varié et nous notons une discontinuité dans les activités de sensibilisation de façon générale sur le territoire. Ce n’est pas uniformisé. C’est à dire qu’il y a une bonne partie de la population qui bénéficie réellement des messages de communication alors que d’autres n’en bénéficient pas. Nous constatons aussi que les pratiques de communication autour de la PF ont montré leurs limites. La communication n’est pas suffisamment axée sur la personne humaine. Les acteurs n’échangent pas de façon pertinente avec les communautés et les canaux pour transmettre l’information à la grande masse ne sont toujours pas appropriés. Ces canaux là n’impactent pas toujours convenablement les cibles. Les communautés ont besoin par exemple des canaux comme les radios communautaires, les canaux traditionnels. Combien de programme aujourd’hui font recours à des canaux traditionnels ? Un travail efficace n’est pas fait sur le contenu des messages. Dans leur grande majorité, les populations continuent de croire que la PF c’est pour limiter les naissances au lieu de les maîtriser et puis les espacer. On note quand même qu’aujourd’hui le gouvernement a pris l’engagement d’introduire l’éducation à la santé sexuelle en milieu scolaire et la phase d’expérimentation est en cours. C’est quand même une bonne nouvelle parce que cela permettra aux jeunes générations d’être informées sur les avantages de la planification familiale et de pouvoir l’adopter à l’avenir. Mais pour le moment, il faudrait qu’on puisse prendre de bonne disposition pour aller vite.

Quelle part pour les hommes dans les causes ?

Ce qui freine aussi le taux de prévalence contraceptive, il y a la faible implication des hommes dans la planification familiale. Les hommes ne sont pas suffisamment informés et cela à cause des pesanteurs socioculturels et les inégalités du genre. Aujourd’hui, dans l’idée de beaucoup d’hommes, quand une femme se met sous méthode contraceptive, on se dit que c’est la voie qui est ouverte à l’infidélité, à l’adultère parce qu’avec les méthodes contraceptives il y a plus de grossesse. C’est des pesanteurs sociologiques et des inégalités du genre. Le problème du fort taux de grossesse parmi les adolescentes et les jeunes femmes est fortement lié aux pratiques par exemple des mariages précoces.

Et justement parlant des adolescents et des jeunes; aller à la gratuité de la PF pour les jeunes et adolescents est-il un engagement politique difficile pour le Bénin ?

(soupire)… Oui et non ! En faite c’est pas un engagement difficile. C’est parce que justement les gouvernants actuels n’ont pas encore pris suffisamment la mesure de la situation. C’est vrai que quand on est au commande, il y a trop de priorités. Donc, il faut choisir les priorités parmi les priorités. Quelque part on comprend le gouvernement parce que le gouvernement a beaucoup de priorités à gérer. Les routes, la santé des populations, l’agriculture, problème de sécurité…et voilà que les ressources sont limitées. Ce qui fait que nos gouvernants sont parfois obligés de faire des arbitrages budgétaires qui malheureusement ne font pas la part belle à la planification familiale.

Et que font les organisations dans ce sens ?

C’est pour cette raison que les organisations de la société civile doivent continuer par se battre, doivent continuer à faire un plaidoyer offensif pour que les gouvernants puissent prendre la planification familiale comme une priorité. Il faut leur expliquer que la planification familiale est un chemin obligé vers le développement social. Sans la planification familiale nous ne pouvons pas atteindre le dividende démographique qui est une condition pour permettre à un pays d’avoir un taux de croissance élevé. Le dividende démographique permet d’avoir une population active plus nombreuse que la population inactive puisque c’est la population active qui supporte la population inactive. Je veux parler des vieillards, des enfants et les jeunes qui sont vulnérables et qui n’ont pas encore d’emploi.

Et selon vous, y a t-il une réelle volonté politique des gouvernants de financer la planification familiale ?

Oui ! Il y a une réelle volonté de financer la PF seulement que cette volonté est éprouvée par des contraintes. Des contraintes liées à la gestion du peu de ressource que nous avons. Il faut que les gouvernants initient des actions de plaidoyer en direction des partenaires techniques et financiers. Il faut que les gouvernants puissent allouer plus de ressources à la planification familiale sur les ressources locales pour donner l’exemple et montrer que la planification familiale leur tient à cœur et susciter l’accompagnement des partenaires.

L’ambition selon le Plan d’action national budgétisé pour la planification familiale est d’être à un taux de prévalence contraceptive de 20% en 2018. Ce qui n’est pas atteint. Quel appel avez vous à lancer aux gouvernants ?

Le seul appel que nous, nous avons à lancer c’est que le gouvernement puisse respecter les engagements qui sont pris à Addis Abeba en 2013 d’allouer 250 millions à la PF pour l’achat des produits contraceptifs au moins. Si le gouvernement respecte cet engagement, ce serait bien.

Mamabenin:  Nourou Adjibadé merci !

Nourou Adjibadé: C’est moi qui vous remercie !

Interview et transcription : Bismarck Sossa

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