Grossesses non désirées et précoces en milieu scolaire: Une épine dans la gorge des parents d’élèves

Maîtresse d’école, avocate, docteur, ministre, directrice de société… Voilà le rêve des parents qui envoient aujourd’hui leurs filles à l’école. Mais parfois, ce rêve est très tôt brisé à cause d’une surprise de taille. Il s’agit des grossesses non désirées et précoces qui mettent un terme au cursus scolaire de ces apprenantes, semant ainsi la désolation dans le rang des parents. C’est un phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur au Bénin et qui constitue un casse-tête pour toute la société.

Des élèves lors d’une sensibilisation sur les grossesses scolaires en milieu scolaire. Photo: Bismarck Sossa


Une fraîcheur matinale accompagnée de chants d’oiseaux, le passage de quelques animaux domestiques sous les arbres. C’est ce spectacle qui nous a accueilli ce mardi matin du mois de Septembre dans la cour du centre social de la commune de Covè, ville située à 180 Km de Cotonou, la capitale économique du Bénin. Sous une paillote de fortune, se trouvait un groupe de jeunes filles âgées de 09 à 19 ans. Les unes habillées en tenues traditionnelles, les autres en uniforme d’école. Elles suivaient avec attention les conseils d’une dame, animatrice de Aldip Ong, une structure qui s’occupe de la réinsertion sociale des filles mères et déscolarisées. «Ce n’est pas la fin du monde si aujourd’hui vous êtes enceinte. L’essentiel, c’est de prendre conscience de la situation et de se dire qu’après l’accouchement, vous devez reprendre vos études »
Regrets, souffrance, ignorance et inconscience se lisaient sur le visage de ces filles, toutes des écolières et élèves. Christine A., la plus jeune du groupe et apparemment plus dégourdie que les autres a 9 ans. De taille courte, svelte, elle présente le corps d’une fillette de son âge. Mais à vue d’œil, il est difficile de s’imaginer qu’elle serait mère d’un bébé de 7 mois. Elle est en classe de CM2. « Je viens très souvent ici pour suivre les enseignements de l’animatrice. Quand je suis à l’école, je dépose le bébé chez une vendeuse. Pendant la récréation, je lui donne le sein » explique-t-elle. A la question de savoir comment elle a vécu son accouchement, elle répond : « C’était un matin, j’ai commencé par avoir des maux de ventre. J’avais pensé que c’était pour aller aux chiottes. Mais cela devenait de plus en plus atroce. Ma belle-mère, qui n’était pas partie au champ ce jour, m’a alors amené à l’hôpital. La sage-femme m’a fait une piqûre. J’avais très mal. Mais je n’avais pas pleuré. Et après le bébé est sorti ». Cette naïveté se retrouvait également chez Paulette B., 16 ans, élève en classe de 3ème au CEG1 de Covè et enceinte de cinq mois. « C’est mon camarade de classe qui est l’auteur de ma grossesse. J’ai laissé les cours parce que j’ai honte. Tout le monde me regarde. Mon ventre a commencé par grossir. Mon mari aussi a laissé les cours pour faire de petits jobs afin de subvenir à nos petits besoins. Moi, je vends de la bouillie les matins pour l’aider. Nos parents n’ont pas les moyens pour nous venir en aide ».
Une situation qui désoriente les parents
Agée de 14 ans, Alice est élève en classe de 5ème au CEG de Zakpota situé à quelques kilomètres de Covè et est enceinte de 6 mois. Son professeur est l’auteur de sa grossesse. A l’annonce de cette nouvelle, sa maman s’est évanouie. « Je ne pouvais pas supporter cette nouvelle. Je tremblais debout. C’est une honte pour moi car je suis dans une famille polygame. J’ai séjourné chez un couple ami pendant trois jours. Et ils m’ont demandé de ne pas faire de ne pas la menacer pour éviter qu’elle n’ait des idées négatives. Ce qui est sûr, elle ira à l’école avec la grossesse ». Quant à Pierre Lokonon, père de Amandine, une autre élève qui est tombée enceinte en classe de 4ème, il l’a simplement renvoyée de la maison. « Sa petite sœur excelle bien à l’école. Je ne voulais pas qu’elle, en tant que grande sœur, donne de mauvais exemples aux autres. J’étais déçu. J’ai appris qu’elle est partie chez sa maman à Cotonou. C’est après l’accouchement que je l’ai revue. Et sa chance, c’est qu’elle a accepté de reprendre les cours sinon je l’aurais répudié. ». La survenue des grossesses précoces et non désirées dont les auteurs sont généralement des camarades de classe, des artisans du quartier et parfois des professeurs, constitue un frein à l’aboutissement des projets que les parents ont pour leurs enfants.
Des chiffres qui effraient…
Les résultats de la cinquième Enquête de Démographie et de Santé (EDSB 5, 2017-2018) réalisée par le Ministère de la Santé du Bénin, révèlent que les adolescentes (15-19 ans) constituent un groupe à risque en matière de fécondité car les mères jeunes (moins de 20 ans) courent généralement un risque plus important de décéder que celles qui ont franchi cette tranche d’âge. Aussi, l’entrée précoce des jeunes filles dans la vie féconde réduit considérablement leurs opportunités scolaires. Ce document montre que 1 adolescente sur 5 (20 %) a déjà commencé sa vie reproductive, 15 % ont déjà eu une naissance vivante et 5 % sont enceintes d’un premier enfant. De ce fait, la fécondité des adolescentes contribue au taux élevé de l’indice de fécondité qui est de 5,7 enfants par femme. Selon ce même rapport, la proportion d’adolescentes ayant déjà commencé leur vie féconde augmente rapidement avec l’âge, passant de 2% à 15 ans à 47 % à 19 ans, âge auquel 38 % des jeunes filles ont déjà eu une naissance vivante. De l’EDSB 4 qui présente un taux de 17% (2011-2012) à l’EDSB 5 (2017-2018), on note une augmentation de 3 % du taux de précocité des rapports sexuels chez les adolescentes.

Les statistiques des grossesses en milieu scolaire au cours de l’année 2016-2017


Le taux de grossesses non désirées et précoces en milieu scolaire est également en nette progression. Le rapport d’une étude réalisée par le Ministère des Enseignements Secondaire, Technique et de la Formation Professionnelle informe que sur un total de 301.821 filles inscrites sur toute l’étendue du territoire au titre de l’année scolaire 2016-2017, 2563 sont tombées enceintes.  Dans ce registre, le département des collines vient en tête avec 472 cas de grossesses sur un total de 27 166 filles inscrites. Au cours de l’année scolaire (2017-2018), 111 grossesses sont enregistrées dans le département du Borgou, 22 à Houéyogbé dans le département du Mono et 51 dans le département du Couffo.
Des causes et conséquences à plusieurs facettes
Selon les explications de la Directrice de l’Ecole Primaire Publique (EPP) de Houin située dans la commune de Covè, c’est surtout la naïveté et l’ignorance qui conduisent les enfants dans ce décor. « A la maison, certains parents continuent de considérer le sexe comme un sujet tabou et n’en discute pas du tout avec les enfants. Et c’est la plus grande erreur que nous commettons. Ce que nous leur cachons, c’est en ville qu’ils le découvrent. Et bienvenue aux dégâts. On doit pouvoir donner à chaque enfant, selon son âge, l’éducation sexuelle qui lui convient ». S’ajoutent à ce manque d’éducation sexuelle à la maison, l’ambition démesurée de certaines filles et leur condition sociale de vie. Porter une grossesse pendant 9 mois n’est pas un jeu d’enfant à en croire Mme Salou Adjibadé, chargée de programme santé de la reproduction des jeunes à Ceradis ONG. La non maturité des organes génitaux de ces filles mères les exposent à beaucoup de risques sanitaires tels que les avortements clandestins qui se soldent souvent par des complications pouvant conduire à la mort, l’accouchement par césarienne, la malformation congénitale, les hémorragies internes au cours de l’accouchement… La survenue d’une grossesse précoce entraîne aussi la déscolarisation des filles et surtout la stigmatisation et la discrimination dans son entourage.

L’éducation sexuelle des jeunes filles reposent sur les parents. Photo: Bismarck Sossa


Le dialogue parent/enfant à la maison sur la sexualité, l’éducation sexuelle à l’école, l’abstinence, l’adoption d’une méthode de contraception par les jeunes qui ont déjà une vie sexuelle active peuvent aider à réduire considérablement le taux de grossesses précoces et non désirées en milieu scolaire et permettre ainsi aux élèves filles de finir leurs cursus scolaires et réaliser leur rêve et celui de leurs parents.
La politique de la gratuité des méthodes contraceptives aux jeunes, toujours en veilleuse
L’un des engagements pris par le Bénin lors de la troisième Conférence Internationale sur la Planification Familiale tenue en 2013 à Addis Abeba en Ethiopie est de « Rendre gratuit d’ici 2015, l’accès aux méthodes modernes de contraception dans les formations sanitaires publiques pour la couche juvénile ». En 2017, au Sommet de Londres sur la Planification Familiale, le Gouvernement a élargi cet engagement non respecté en un autre. Cette fois-ci, il est question de « Fournir gratuitement les services de planification familiale dans les établissements de santé à toute la population béninoise y compris les adolescents et jeunes d’ici la fin de 2019 ». Si en 2015, rien n’a été fait, nous pouvons nourrir l’espoir que cette décision sera effective à partir de 2019. Malheureusement, les différents acteurs impliqués dans la mise en œuvre de cette décision restent pessimistes. « C’est une décision politique qui n’a jamais été prise. Or le mal persiste. C’est vrai qu’il faut prendre des dispositions pratiques telles que la subvention des produits, les critères de sélection des établissements de santé…Mais tout cela traine » se désole Dr Serge Kitihoun, Chargé de Programme à l’Association Béninoise pour la Promotion de la Famille (ABPF) à Cotonou. A en croire les explications de Hèlène Hlungbo, Jeune champion pour l’ABPF/IPPF, après le rapport du consultant commis il y a un pour travailler sur cette politique, on ne parle plus de « gratuité » mais plutôt de « Exemption du coût direct des méthodes ». La prochaine étape de cette consultation est la sélection des méthodes qui seront gratuites et l’identification des centres de santé. Cependant, Gaston Ahounou, Chargé de la Planification Familiale et de la Santé des Adolescents et Jeunes au Ministère de la Santé rassure que la gratuité sera effective en fin 2019, même si depuis 5 ans aucun décret n’a été pris par le conseil des ministres pour donner une priorité à la santé reproductive et sexuelle des adolescents et jeunes. Pour le moment, l’heure est à la sensibilisation des jeunes et des enseignants, mais aussi à la vulgarisation de la loi qui punit le harcèlement scolaire. En attendant, les jeunes peuvent profiter des campagnes d’offres gratuites périodiques organisées par l’ABPF, le Ministère de la Santé et d’autres structures pour adopter une méthode de contraception de leur choix qui leur permettra d’être à l’abri des grossesses non désirées et précoces.
Makeba Tchibozo

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